Portraits Kanaks Chapitre 1



C’est autour d’un bon café mélanésien fait par sa compagne Julie que Jean-Claude nommé Boaé dans sa langue se confesse. Agé de quarante-huit ans et déjà une dentition dégradée par les cigarettes et l’alcool. Cheveux crépus cachés par sa casquette recouverte de boue, visage marqué par des traits de vieillesse et vêtu d’habits usés, Boaé est le chef du clan Vaiadimoin. Chaque clan (famille élargie) d’une tribu est séparé par des ruisseaux appelés « crick » dans le langage Kanak.
Avant la naissance de Boaé, son grand-père a mené ce travail, il en était le responsable. Il a conquis le respect et la confiance de la tribu pour être le responsable de son clan et avoir sa place au sein du conseil des anciens. Il lègue ensuite le poste à son père suite à son incapacité à se déplacer au conseil. Le chef du clan n’est pas dans l’obligation de céder son pouvoir à son fils s’il estime qu’il n’est pas encore capable d’occuper un poste important.
Boaé devient vice-président du conseil des clans autrement dit « conseil des anciens ». Selon-lui, chaque membre du conseil est un « sage ». Ce sont des personnes exemplaires qui ont été élu du fait de leur confiance. « Ce poste n’est pas à prendre à la légère ». Pour pouvoir représenter son clan au sein du conseil, il faut avoir de l’expérience et connaitre le savoir vivre en tribu. Boaé se sent tout d’abord Kanak avant d’être Calédonien. Il est pour l’indépendance économique de son pays et est persuadé que son pays peut y arriver sans l’aide de l’état français. Malheureusement des contraintes liées aux accords signés entre l’état français et la Nouvelle-Calédonie perturbent l’espérance d’une Calédonie totalement indépendante.
En tant que chef, il a fallu que Boaé se marie pour pouvoir être chef de clan. Dans la tradition Kanak, il est important de se marier car cela marque une étape. Le père doit accomplir une dernière tâche. Elle consiste à trouver une compagne à son fils. Comme le veut la tradition, le père doit proposer à son fils une partenaire mais ce dernier n’est pas forcé d’accepter mais doit se justifier. Le couple est dans l’obligation de trouver une entente.
Boaé est marié à Julie et a sept enfants dont trois filles. Contrairement à la tradition, il décide de ne pas donner son premier enfant à son oncle. Ce choix est personnel. Cette coutume est importante chez les Kanaks. Selon lui, les jeunes Kanaks sont l’avenir de la tribu et que s’ils partent en ville, ils perdront le contact avec la tribu et la nature. Les anciens doivent transmettre aux jeunes leur savoir-faire pour que la tradition ne meure jamais.

Ecrit par Amar





Mako, 24 ans est un membre de la tribu de Tendo. Titulaire d’un bac pro bâtiment, il cherchait un BTS génie civil sur Nouméa. Malheureusement, les places sont restreintes dans cette filière et aujourd’hui, il est à la recherche d’un emploi dans le bâtiment, tâche d’autant plus difficile qu’il n’a pas encore son permis de conduire. Il habite toujours en tribu et  les villes où se trouvent les emplois sont éloignées. Marco pourrait pourtant remédier à ce problème puisqu’il a de la famille à Nouméa mais il n’aime pas l’ambiance de la ville qu’il trouve étouffante. Les bâtiments l’oppressent, il préfère le calme de la nature, la végétation et les animaux omniprésents en tribu.  « En ville, les gens ne saluent pas et ils ne te rendent pas ton sourire ». S’il est autant attaché à sa tribu, c’est par ce qu’il y est né, qu’il y a grandi et fréquenté l’école.


Au milieu de la végétation, un grillage en  fer puis une cour d’herbe mènent à une petite école. Sous la pluie, les enfants jouent. L’institutrice d’une quarantaine d’années est très accueillante, elle explique le fonctionnement de son établissement. Elle est chargée d’une classe de 10 élèves âgés de 3 à 5 ans. Suite au manque d’effectifs des professeurs, les classes primaires (CE1, CE2, CM1 et CM2) ont été transférées vers d’autres tribus. Seule la classe de CP a été maintenue. La commune de Hienghène attribut un budget de 10 000 francs pacifiques par an pour chaque enfant.

Manu, un kinésithérapeute d’une vingtaine d’années originaire de Bretagne vit ici depuis 5 ans et s’occupe de plusieurs tribus dans la province nord. Les calédoniens peuvent profiter des services médicaux grâce à la CAFAT (L’assurance maladie calédonienne). Il voyage beaucoup mais a décidé de s’installer quelques années en Nouvelle-Calédonie.

Roda est une des doyennes de la tribu. Sa grande case est l’une des plus belles des alentours. Elle se trouve à l’entrée d’un escalier en ciment bordé de plantes exotiques. Elle appartient à la famille Vaiadimoin et est  la tante du chef de celle-ci, Jean-Claude. C’est une mère de neuf enfants. Elle nous apprend qu’à la naissance, un enfant peut être adopté par un des membres de sa famille qui  n’en a pas.
Concernant la question de l’indépendance, Roda ne connait rien à la politique, Marco ne se sent pas concerné et pense qu’il n’ira pas voter. Quant à lui, Manu dit que, quelque soit la réponse, il pourra toujours vivre ici car ce pays a besoin de kinésithérapeute. L’institutrice souhaite l’indépendance économique du pays mais prône tout de même le vivre ensemble entre « Caldoches » et Kanak.


Ecrit par Jasmeen, Faïda, Brandon et Mohamed
Photos : Mohamed





 « Même pour 1 million de CFP je ne quitterai pas ma tribu »
Attachée à ses valeurs, Sidoni, alias Sido, parle d’elle. Elle est née dans sa tribu à Tendo, en 1969. Sidoni parle l’un des  4 dialectes de Hienghène qui est le nemi. Les trois autres sont le fouir, le bingi et le junt. Elle va à l’école maternelle de Tendo puis à l’école primaire et au collège de Poindimié. Suite à l’embuscade de 1984, Sidoni est contrainte d’arrêter sa scolarité en classe de 4eme. Les « professeurs caldoches » ont quitté Hienghène par peur qu’une autre fusillade se produise. Sidoni dépassée par les événements fugue de chez elle pour aller chez sa sœur à Houaïlou. Elle est depuis son plus jeune âge autonome, décide de devenir nounou, et garde jusqu’à 3 enfants par jour.
En 1988, elle décide de retourner dans sa tribu, l’année suivante elle passe son BAFA qu’elle n’a pas du premier coup et elle le repasse une seconde fois à Nouméa. Sidoni est une mère divorcée ne pouvant pas avoir d’enfant. Débordante d’amour, elle adopte un garçon de son grand frère et une fille de sa nièce qui ont actuellement 19 et 25ans.
Un jour à Tendo en écoutant la radio, elle entend une annonce pour devenir directrice de camp de vacances pour l’association AFACS (Association pour la formation et l’animation culturelle et sociaux éducatifs). Elle suit son ambition pour les enfants et part vivre à Nouméa pour ce poste. Quelques temps plus tard, elle accueille des touristes et des classes scolaires dans sa tribu d’origine pour partager sa tradition. Les anciens de la tribu n’ont pas été d’accord au début par le fait d’accueillir les touristes car « les blancs » ont quitté Hienghène à cause de la fusillade de 1984. Ils ont finalement accepté de partager les coutumes culturelles et le mode de vie des Kanaks en tribu.
Sidoni et Ben, son compagnon français ont créé un camp de vacances pour les enfants. Ils ont installé des bases nautiques dans la région de Hienghène et font des activités culturelles comme par exemple l’apprentissage de la langue pour les enfants ou encore des balades dans la forêt.
Elle ne partira jamais de sa tribu, c’est son choix. D’autres Kanaks quittent la tribu pour la ville pour travailler mais la vie en ville étant très chère, ils sont donc contraints de vivre dans des bidonvilles sans eau courante ni électricité.
Cependant, Sidoni aime voyager. Elle est allée en France (Nice, Toulouse, Pyrénées), en Italie, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elle pense que les voyages apportent de la diversité et que c’est bien de découvrir de nouvelles cultures.
Elle a d’ailleurs un cousin qui travaille à la maison de la Nouvelle-Calédonie à Paris mais qui n’est jamais retourné dans son pays. Elle reste quand même en contact avec lui par internet car dernièrement internet a été installé dans la tribu.
Sidonie est pour un monde meilleur et elle est pour le respect de tous. Concernant le référendum de 2018, elle y est favorable car elle veut récupérer les terres qui ont appartenu aux Kanaks. Elle pense que l’indépendance du pays peut se faire mais que les politiciens kanaks  ne sont pas assez puissants pour que l’indépendance se fasse.


Ecrit par Ines et Mohamed




C’est dans la tribu de Tendo à Hienghène qu’Abdelkrim Jean-Baptiste Ben Lahoussine, alias « Ben » habite depuis 10 ans. Cheveux blancs bouclés, visage marqué par les rides, avec un franc parlé, Ben se décrit comme « grande gueule ». Il est né à Rouen en 1951, d’un père berbère marocain, musulman pratiquant  et d’une mère normande, catholique pratiquante, il est comme il le dit : un « vrai métis ». Ses parents lui ont laissé le choix sur la religion. Il n’est pas croyant mais se rapproche le plus de l’animisme. Il quitte la France dans les années 80 la trouvant trop raciste. C’est alors, avec sa compagne de l’époque, qu’il décide de s’installer en Nouvelle-Calédonie.

La situation critique de ce pays à cette époque les a convaincus de s’y installer. Il a posé ses valises depuis 30 ans à Hienghène et vit depuis 10 ans à Tendo. D’ailleurs, ses trois enfants sont nés en Nouvelle-Calédonie. Un de ses fils travaille à Nouméa en tant qu’informaticien, le second vit en métropole et son dernier enfant, sa fille, enseigne en Nouvelle-Calédonie. 
La vie en tribu est un mode de vie qui lui convient parfaitement de par la manière de vivre, la fraternité et la solidarité qui y règne ainsi que les valeurs qui lui correspondent. Ben est retraité mais a toujours travaillé dans l’animation. Il a créé l’Association pour la Formation et Animation Culturelle et Socio-éducative (AFACS) dont il est le président. Cette fondation regroupe toutes les associations de la tribu. Elle tient beaucoup à cœur à Ben. Avec cette association, un de ses principaux objectifs est de venir en aide aux jeunes. Comme il le dit « il faut s’occuper des jeunes et pas les occuper. ». Il faut, selon lui, les épauler pour les aider à grandir. Dans la tribu de Tendo, 39 jeunes adultes sont en autosuffisance.

Bien qu’il ne veuille jamais retourner vivre en métropole, il n’en a pourtant « rien à foutre » du referendum calédonien qui aura lieu en 2018. Le « destin commun » n’existe pas pour lui, « il est où ? » demande-t-il. Pour lui, un jeune de tribu n’a pas du tout les mêmes chances, ni le même destin qu’un entrepreneur de Nouméa.  Il n’a plus du tout confiance en la politique. Il dit qu’« aujourd’hui on vote contre quelqu’un et non pas pour quelqu’un » en prenant comme exemple les présidentielles de 2012.  Lorsqu’il était en France métropolitaine, il était engagé politiquement, à l’extrême gauche, plus précisément à la Lutte Ouvrière. Pour lui il a fait ce qu’il devait faire en politique. Maintenant, il dit que c’est aux jeunes de prendre le relais, qu’il faut « se préoccuper des problèmes d’actualités et ne pas se laisser faire ».

Il est fier de ses convictions mais ne les impose pas aux autres. Impatient, il fuit l’entretien en quittant la table.



Ecrit par Louna, Alan et Garance







Peu de temps avant l’heure du dîner une femme est assise sous le préau. Confectionnant un bracelet en feuille de bananier elle accepte tout de même de répondre à quelques questions. C’est une femme de petite taille, âgé d’une quarantaine d’années, vêtue d’une robe grise traditionnelle chez les femmes kanak appelée robe mission.
Antoinette. Comme beaucoup de kanak en plus de ce prénom dit officiel elle a aussi un nom en langue : « Poigou ».  Mère de deux enfants, une fille et un garçon, de 21 et 18 ans respectivement, elle Koné, en revanche comme elle son fils vit toujours dans sa tribu d’origine : Tendo. Antoinette est très attachée à sa tribu et toute la culture qui en découle, c’est d’ailleurs la cousine du chef « Bell ».
Elle préfère la végétation et l’odeur de l’air pure en tribu à l’air pollué de la ville. Elle aime la convivialité qui règne entre les membres de la tribu chose qu’elle ne perçoit pas en ville. Il lui arrive tout de même d’aller en ville, néanmoins elle ne se voit pas y vivre définitivement. Pourtant la vie en tribu commence progressivement à se moderniser, dans la sienne par exemple on peut maintenant trouver du réseau mobile : « mobilis », et la wifi est même arrivée. Mais cela ne gène pas Antoinette, elle n’est pas contre la modernité de la ville et admet que sa tribu doit vivre avec son temps. Elle dit juste apprécier la tranquillité de la vie en tribu où tout le monde y connait sa place, son rôle et sait ce qu’il doit faire. La journée typique d’une femme kanake peut commencer dès l’aube. En effet si elle a quelque chose d’important à faire elle se lève à 5h du matin, sinon elle peut prolonger son sommeil jusqu’à 8h. Elle fait sa toilette, prend son  petit déjeuner puis va directement aux champs. Là-bas elle récolte du piment, du tarot d’eau, du manioc mais aussi de l’igname et de la canne à sucre. Tout cela lui servira pour préparer le déjeuner, mais aussi le diner avec le reste des femmes de la tribu. Elle peut ensuite occuper le reste de son temps comme elle le souhaite. Elle aime cette manière de vivre d’ailleurs elle se sent en permanence en vacances. De plus il n’y a pas de soucis d’argent en tribu car tout ce qui est consommé est planté ou cultiver par la tribu, seuls l’eau et l’électricité sont à payer. Il n’y a pas de loyer car les terres leurs appartiennent. Selon Antoinette c’est un atout pour la vie en tribu par rapport celle en ville car là-bas tout est payant, les parents sont obligés d’aller travailler et ils n’ont pas assez de temps à consacrer aux enfants. Ces derniers un peu délaissés se mettent à trainer, voler etc… Par manque d’argent ou tout simplement habitués au mode de vie qui consiste à ne rien payer certains habitent dans les bidonvilles où on ne paye ni loyer, ni eau, ni électricité.
En tribu la vie en communauté est quasi permanente, les moments d’intimité -avec son conjoint par exemple- sont rares mais cela ne gène personne. « On est pas comme ça », déclare Antoinette, chez eux les signes d’affection ne se montrent pas devant autrui, pourtant ils s’aiment.
Les mariages en tribu se déroulent en 3 temps : d’abord la famille de l’homme vient chez la femme pour lui demander sa main, enfin officiellement car en réalité le jeune couple vit d’abord ensemble sous la surveillance des parents, si c’est dernier juge le couple assez solide pour vivre maritalement alors l’homme peut enfin épouser la femme. Il ne peut pas avoir de refus devant toute la famille. Le lendemain les deux familles font la coutume, puis la famille de la femme autorise ses hôtes à manger, un mariage s’est bien passé si tout le monde est bien rassasié à la fin du repas. Le troisième jour ont lieu les civils et les mariages religieux.
A la question des mariages forcés Antoinette nous répond que là aussi il y a du changement, il n’y a plus de mariage forcé maintenant ils sont arrangés, cette nuance laisse à la femme le choix d’accepter ou non l’époux que lui présente ses parents.
La modernité entre peu à peu dans la vie en tribu néanmoins la coutume y garde une place très importante. Au sujet du référendum sur la question de l’indépendance ou pas de la Nouvelle-Calédonie, Antoinette déclare que ça ne changera pas beaucoup sa vie, que sa vie en tribu lui donne déjà l’impression d’être dans un pays indépendant pourtant elle votera pour l’indépendance. 


 Ecrit par Faïda

 




3 commentaires:

  1. Bravo pour ces portraits si différents qui nous permettent de découvrir le côté plus "humain" de votre voyage. Personnages bien choisis.

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  2. c'est tres sympa ces portraits!
    comme disait Nicolas Bouvier, "on croit faire un voyage, mais c'est le voyage qui vous fait...ou vous défait..."

    un beau sejour qui fait plaisir à suivre depuis les Alpes où je suis...et qui sera à vie dans vos mémoires..."le voyage vous fait"...merci du partage.

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  3. comme c'est bien écrit! on a les parcours, les manières de voir des gens que vous avez rencontrés. Des portraits qui éclairent encore autrement les questions que vous voyez depuis le début: quelle place pour chacun, avec quelles valeurs, pour quel avenir.

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